Messe de Sainct Noël

La miniature remarqua que le pupille de la duchesse semblait pressé de rejoindre la chapelle. Du moins était-ce l'impression qu'il donnait en tirant avec insistance sur la manche de Melior. Attitude qui le rendit éminemment sympathique à la poupée, plus habituée à voir ses proches se désintéresser totalement du service divin qu'assidus à l'office! A l'exception de sa marraine, évidemment.

Un sourire creusant ses fossettes, elle se pencha vers le petit et lui chuchota, montrant la place à côté d'elle.

Veux-tu t'installer là? Tu seras aux premières loges pour la messe.

Attendant une éventuelle réponse du gamin, elle se demanda brusquement si elle n'avait pas fait une gaffe. Après tout, il n'avait pas encore bredouillé le moindre mot depuis son arrivée, peut-être était-il muet? Auquel cas sa question allait peut-être l'embarrasser? Auquel cas elle serait une mauvaise hôtesse, perspective navrante à ses yeux? Ah fichtre, faites qu'il parle ou elle était bonne pour la honte!

Les yeux du roitelet s'écarquillèrent comme deux besants d'argent. Interpellé par une dame qui, si elle n'était pas moins grande que lui, ne brillait pas par sa haute stature mais se trouvait entouré de moults habits riches qui invitaient le breton à croire que la petite taille n'était pas forcément gage de pauvreté. Il peina à formuler une réponse qui siérait à l'élégante proposition qui lui était faite, et jeta un œil vers sa tante avant d'oser répondre à la duchesse miniature.

Oui ! C'est quand qu'on chante ?

Tant pis pour la quinte de toux tata, mais la place est trop belle et il n'y a pas de place pour deux. Délaissant la vieille duchesse en quittant ses jupons, il fit mine de l'ignorer avec une superbe enfantine pour se faufiler au minuscule indiqué par la petite noble haute en couleurs.

"C'est quand qu'on chante?"

Question qui réjouit la poupée. Lui aussi appréciait les messes en musique? Elle, depuis la "révélation" qu'elle avait eu à Noirlac, ne pouvait plus se passer de cantiques et de motets! Elle envisageait même très sérieusement de créer une petite chorale pour sa chapelle... Avec un sourire, elle rassura son voisin.

On chante bientôt. Mais il faut d'abord que la messe commence bien sûr.

Une tape sur l'épaule la fit se retourner d'un coup. Faran! Evidemment! Il n'y avait que son petit prince pour oser attirer son attention de cette façon. La poupée, en le voyant sourire, eut un instant d'inquiétude. Allait-il se tenir tranquille cette fois? D'un côté, elle l'espérait, ne voulant pas le voir à nouveau troubler une cérémonie. De l'autre, elle ne pouvait s'empêcher de se demander si une subite sagesse serait dû à l'envie de ne pas la chagriner une nouvelle fois... ou au désir d'impressionner la jeune normande....

C'est une blondinette toujours songeuse et peu loquace qui avait gagné la chapelle. L'enthousiasme et la fierté mal dissimulée de sa petite soeur lui tirèrent tout de même un sourire amusé. Boucles d'Or gagnait en assurance en grandissant, et ses fonctions de héraut devaient l'avoir aidée à supporter les séances publiques. On aurait même pu penser qu'elle commençait à y prendre goût!

Ce qui était loin d'être le cas de son aînée, qui n'appréciait que modérément les mondanités. Aussi modérément que les messes en fait, sa foi n'étant pas des plus profondes. Tout au plus un léger vernis fait d'habitudes et d'indifférence. Mais, baste! Elle pouvait bien faire un effort pour l'occasion.

Elle prit donc place sur un banc plus éloigné, laissant malicieusement tout le premier rang à sa cabotine de frangine et se prépara à suivre la cérémonie.

Qui commençait par une prière de pardon. Ce qui la mit mal à l'aise. Si peu croyante qu'elle fût, elle avait tout de même sur la conscience quelques bricoles qui devaient déplaire à son Créateur, si tant est qu'il ressemble à ce que l'Eglise disait. Une prière ne serait peut-être pas si superflue que ça finalement songea-t-elle en reprenant les paroles d'Eloin. Tout en se retenant de chercher son frère du regard pour connaître sa propre réaction...

Je confesse à Dieu Tout Puissant
A tous les saints
Et à vous aussi mes amis
Parce que j'ai beaucoup péché en pensée, en parole, en action.

Je supplie tous les Saints
Et vous mes amis
De prier le Créateur pour moi

Que le Très Haut nous accorde le pardon, l'absolution et la rémission de tous nos péchés.

Dans la famille "mauvaise conscience" je demande la soeur

Le début de la cérémonie avait suffi à plonger la blonde poupée dans un recueillement sincère. Et la prière de pardon la mît, sans qu'elle le sût bien sûr, dans un état proche de celui de son aînée. Car Boucles d'Or, si elle était profondément pieuse, avait la piété inquiète et craignait le péché. Elle redoutait particulièrement de tomber dans le péché d'orgueil, et éprouvait bien des difficultés à concilier sa conscience de son rang et le don de soi préconisé par l'Eglise.

C'est donc avec une ferveur inquiète qu'elle récita à son tour sa prière, espérant de toutes ses forces bénéficier du pardon divin.

Je confesse à Dieu Tout Puissant
A tous les saints
Et à vous aussi mes amis
Parce que j'ai beaucoup péché en pensée, en parole, en action.

Je supplie tous les Saints
Et vous mes amis
De prier le Créateur pour moi

Que le Très Haut nous accorde le pardon, l'absolution et la rémission de tous nos péchés.

Le pardon faisant visiblement réfléchir certains, Eloin en profita pour faire signe d'approcher à plusieurs serviteurs.

Elle avoit, depuys quelques temps, et en cachette de la duquesseta, organisé une petite surprise. Laissant le cuisinier, ainsi que Maïtena, l'ancienne nourrice des jumeaux et de Faran, ainsi que Louise et plusieurs aultres meschines s'installer en cercle juste devant l'autel, elle entama elle-mesme le début du chant, un kyrie eleison.

Chant ordinaire de la plupart des messes, quoique placé différemment au cours de l'office, selon les régions du royaume de France, le kyrie marque la fin des litanies et aultres processions, et signifie le début de la messe à proprement parler.

Au bout de six répétitions, elle jugea bon de cesser le chant et remercia les serviteurs d'un signe de teste. Et, pendant que ces derniers retrouvoient leur place dans la chapelle, elle se rendit au lutrin et s'adressa à tous.

Nous sommes en ce jour réunis pour fester la Sainct Noel, dont l'hagiographie va dès à présent vous estre lue à haulte voix.

Elle se tut un instant, hésitant entre lire elle-mesme ou faire lire le texte. Et, se souvenant du conseil de l'archevesque de Bordeaux, à savoir de faire participer autant que possible les paroissiens, elle parcourut la nef du regard.

Et s'adressa au garçon assis aux costés d'Elianor, qui sembloit suivre la messe avec une grande attention, semblant en cela le semblable de Boucles d'Or. Un futur clerc aristotélicien, peut-estre ?
Elle savoit parfaictement qui estoit l'enfant, se souvenant de sa première apparition devant la défunte duchesse, en plein tinel de Beaumont sur Sarthe , aussi luy adressa-t-elle un fin sourire.

Sénher Laouenan, souhaictez-vous commencer la lecture ?

Elle ne s'estoit point posée la question, mais le petit devoit bien savoir au moins lire et écrire, vu le rang et l'érudition de sa tutrice...

Les prières, c'était d'un compliqué à apprendre par cœur. D'une voix peu audible exprimant la concentration du roitelet à réciter la litanie de la confession des péchés, le petit garçon persista à chercher les bons mots.

Je confesse à monsieur DieuToutPuissant,
A tous mes chiens,
Et à vous aussi tous mes animaux,
Parce que j'ai beaucoup pêché ... des poissons ... avec tata ... euh ...

Trou de mémoire.
Avec de la chance, la dame qui figurait comme étant l'instigatrice de la cérémonie n'aurait pas entendu.

Et puis maintenant elle se mit à chanter. Ce fut très beau, parce que le "Kyrie Eleison" et bien son oncle Archybald (le tonton crasseux) lui en avait déjà chanté un à Bon Plaisir. Ça finissait du genre "Kyrie Eleison Miserere Nostri" et ça faisait froid dans le dos tellement le ton du chant était lugubre. Plutôt que de faire comme dame Eloin qui devait être une sainte, parce que toutes les bonnes sœurs qui chantent sont des saintes, Loenan se perdit dans ses pensées.

Si bien que, tout à coup :

Non c'est bon je veux lire !

Ses joues rosissant après sa prise de parole, il reprit un ton moins tumultueux :

Je peux ?

Quittant le banc sur lequel il était installé avec la grande demoiselle aux boucles d'or, le petit bâtard s'avança timidement vers la bonne sœur non sans jeter un regard candide à Mélior, sa tutrice. Lire n'était pas compliqué mais apprendre à lire l'avait été. Et même s'il déchiffrait les mots sans comprendre le sens véritable des phrases, il n'en savait pas moins les mettre bout à bout. Mais en l'état, l'absence de ponctuation orale permettait toutefois une compréhension bancale des textes qu'il roucoulait avec son accent de breizh.

" Arrière-petit-fils d'un brave homme ayant suivit Chris-tos de son vivant Nicolas Noël est né dans un chariot tiré à ce qu’on dit par des cerfs dressés par son père à cette époque les registres n’existaient pas et on ne connaît pas le lieu exact ni la date exacte de sa naissance mais on sait que c’était pendant un hiver par-ti-cul-iè-re-ment compliqué celui-là rude.

Noël faillit ne pas dépasser l’âge de la pu-ber-tééé tellement il avait souffert à sa naissance et il a même été en état de mort plu ... sieurs fois par contre à chaque retour à la vie con-trai-re-ment au commun des mortels il revenait plusse en forme que jamais pourtant chaque année au sol-tice d’hiver il semblait mourir pendant cinq jours et cinq nuits mais bien que son corps soit veillé certains pré-ten-daient l’avoir vu à différents endroits offrant du pain aux plus pauvres du feu à ceux qui n’en avaient pas et même un simple jouet aux enfants tristes. "

Elle presta une oreille attentive à la lecture du jeune homme, trouvant des similitudes dans sa manière de lire avec celles de son fils.
Cela la rassura en un sens, parce qu'elle en venoit parfois à se mander si elle n'estoit point trop exigeante envers luy. Ainsi, voir le jeune Louvelle buter sur certains mots, loin de la faire sourire, l'incita à encourager Enzo à poursuivre ses efforts d'apprentissage !

Lorsque le garçon eut achevé sa part de l'hagiographie, elle le remercia d'un sourire et le laissa rejoindre sa place, puys s'adressa à la damoyselle qui sembloit faire tant d'effet à Faran.

Donaiselà de Clairval ? Pouvez-vous nous faire lecture de la suite ?

La damoyselle, bien que surprise de son appel, y respondit sans rechigner, et la chapelaine ne regretta point son choix, tant elle trouva mélodieuse et agréable à l'ouïe la voix de l'héritière de Cany.

Elle la laissa rejoindre sa place après l'avoir remerciée d'un hochement de teste approbateur, puys posa son regard sur "sa" filleule, ceste enfant qu'elle avoit vu grandir et qui, dans quelques trop courtes semaines, se verrait passer au doigt un anneau nuptial, perspective qui, pour l'instant, estoit loin de la réjouir...

Meuna filhòla ? Je vous laysse lire la troisième partie à nos invités...

La poupée avait poussé un discret soupir en voyant son voisin sortir finalement de ses pensées pour aller commencer la lecture de l'hagiographie. Lecture qu'elle avait écouté avec attention et recueillement. Encore un saint qu'elle connaissait bien mal! Décidément, son ignorance des choses du dogme était abyssale... Il lui faudrait travailler encore bien longtemps pour y remédier.

Elle sourit doucement à sa marraine lorsque celle-ci l'appela à son tour. Se levant, elle la rejoignit lentement, camouflant ainsi sa claudication. L'index de sa marraine lui indiquait l'endroit où la jeune de Clairval s'était arrêtée . Elle prit donc la suite de sa voix à l'accent chantant des terres du Sud.

Tout au long de l’année, il donnait la moitié de son temps pour aider les malheureux, pas forcément les pauvres, mais bien ceux qu’il nommait les malheureux.

Quand on lui demandait pourquoi il aidait des riches comme les pauvres, il aimait répondre des phrases qu’il disait tenir d’Aristote lui-même :
« Les talents du riche ne remplace pas le talent d’être heureux ».
« Etre remplis de talents ne permet pas d’acheter le bonheur »
« on vit avec talent, mais on n’emporte pas ses talents dans la tombe »

Tous ne comprenaient pas, car il y avait longtemps que le talent n’était plus monnaye courante...

Vers l’âgé de 35 ans, il fut nommé Evêque et il continua sa vie de la même façon, aidant ceux qui devaient être aidé, quel que soit leur rang social, il était reconnu pour toujours avoir la parole ou le cadeau qu’il fallait pour rendre la boulasse aux plus malheureux.
Et chaque solstice d’hivers il semblait mourir, mais chaque fois 3 ou 4 jours plus tard il revenait plus en forme que jamais et organisait une messe vers minuit où il racontait une nouvelle histoire.
Une année il annonça que vu son grand âge, il avait près de 90 ans ce qui est un miracle en soi, il renonçait à sa charge et entreprendrait, seul, un dernier pèlerinage. Bien sur tout le monde voulu l’en dissuader, mais il promit qu’il reviendrait pour le 25 décembre, et que de toutes façons il faudrait bénir ce jour particulièrement car il avait appris de Christos et d’Aristote eux même, que c’était le jour de leur naissance à tous trois, Aristote étant né à midi et Christos à minuit et lui juste entre les deux, à dix huit heures.

Le sourire de sa marraine fit chaud au coeur de la poupée, et c'est bien contente qu'elle regagna sa place pour écouter la fin de l'hagiographie. Edifiante d'ailleurs, la vie de Saint Noël. Et cette notion d'aide aux "malheureux" et pas simplement à ceux qui sont matériellement pauvres était, à y réfléchir, bien singulière, et bien intéressante... Il y avait là de quoi poser des questions....

L'heure n'était cependant pas aux questionnements, mais au recueillement. Joignant ses menottes, la poupée unit sa voix à celle de l'officiante pour réciter la principale prière des aristotéliciens, le credo.

Je crois en Dieu, le Trés-Haut tout puissant,
Créateur du Ciel et de la Terre,
Des Enfers et du Paradis,
Juge de notre âme à l'heure de la mort.

Et en Aristote, son prophète,
le fils de Nicomaque et de Phaetis,
envoyé pour enseigner la sagesse
et les lois divines de l'Univers aux hommes égarés.

Je crois aussi en Christos,
Né de Maria et de Giosep.
Il a voué sa vie à nous montrer le chemin du Paradis.
C'est ainsi qu'après avoir souffert sous Ponce,
Il est mort dans le martyre pour nous sauver.
Il a rejoint le Soleil où l'attendait Aristote à la droite du Trés-Haut.

Je crois en l'Action Divine;
En la Sainte Eglise Aristotelicienne Romaine, Une et Indivisible;
En la communion des Saints;
En la rémission des péchés
En la Vie Eternelle.